Amitiés et liens d'attachement : les relations affectives au sein du troupeau
Comprendre l’amitié équine : une perspective interdisciplinaire et multilingue
Dans toutes les cultures observées – qu’il s’agisse des “Misaki” du Japon, des “Camargue” français, des “Sorraia” portugais ou des Quarter Horses nord-américains – les chevaux démontrent une tendance universelle à former des liens affiliatifs durables. Ces préférences sociales dépassent les besoins de survie : elles façonnent la physiologie, la cognition et la résilience émotionnelle de l’animal. [Étude Misaki] (pmc.ncbi.nlm.nih.gov)
1. Signes comportementaux objectivables
Les relations d’« amitié » s’expriment par :
- Proximité volontaire : deux individus se déplacent et se reposent à moins de deux longueurs de corps l’un de l’autre, parfois pendant plusieurs heures, ce qui est statistiquement improbable si la simple disponibilité de la ressource était déterminante. [Krueger et al., ISES] (equisens.es)
- Allogrooming synchronisé : toilettage mutuel sur le garrot et l’encolure, avec durée moyenne de 60-90 s par session et un parfait équilibre entre “donner” et “recevoir”. [Kimura 1998] [Feh & De Mazieres 1993] (researchgate.net, eurekamag.com)
- Buffering social : baisse plus rapide de la fréquence cardiaque et reprise de comportement exploratoire après un événement stressant quand le cheval est accompagné de son partenaire préféré. [Ricci-Bonot et al., 2021] (pmc.ncbi.nlm.nih.gov)
2. Indices physiologiques : quand la science mesure l’émotion
Des marqueurs objectifs confirment la nature apaisante du lien affiliatif :
“Experimental imitation of grooming at the preferred site reduced heart rate of both adults and foals” – Feh & De Mazieres, Animal Behaviour 46 (6).
- Diminution de la fréquence cardiaque de 5-10 bpm en moyenne pendant l’allogrooming ciblé. [Feh 1993] (eurekamag.com)
- Hausse de l’activité parasympathique (HF% HRV) quand le cheval est brossé par un congénère familier ou, par analogie, par un humain familier. [Scopa et al., 2020] (frontiersin.org)
- Maintien ou baisse du cortisol en présence d’un compagnon, alors qu’il s’élève lors d’isolement ou de séparation. [Reid et al., 2017] (thehorse.com)
3. Genèse du lien : de la dyade mère–poulain au réseau d’adultes
La première attache est maternelle ; elle reste détectable jusqu’à cinq mois après un sevrage artificiel, prouvant la persistance de la reconnaissance individuelle. [Henry et al., 2022] (pubmed.ncbi.nlm.nih.gov)
Au sevrage, la présence d’adultes familiers ou de pairs choisis réduit vocalisations et locomotion anxieuse, et limite la durée de l’hyper-cortisolémie. [Aurich et al., 2011] (pubmed.ncbi.nlm.nih.gov)
4. Facteurs modulant la force des amitiés
- Sexe et rang : dans des groupes mixtes, les hongres et entiers de rang proche s’allient fréquemment, alors que les juments privilégient la parentèle. [Sorraia study] (pubmed.ncbi.nlm.nih.gov)
- Taille du troupeau : plus il est grand, plus le grooming devient rare, mais la proximité choisie reste un indicateur fiable de préférence. [Ringhofer et al., 2018] (mdpi.com)
- Stabilité sociale : dans deux troupeaux de Quarter Horses, 123 sessions d’allogrooming ont impliqué des dyades exclusives ; la fréquence augmentait en environnement stressant, confirmant l’hypothèse “tend & befriend”. [Cameron et al., 2023] (pmc.ncbi.nlm.nih.gov)
5. Effets sur la santé et le bien-être
Vivre avec ses partenaires favoris se traduit par :
- Moins d’ulcères gastriques et de stéréotypies comparé à la stabulation individuelle. [BHS, 2024] (bhs.org.uk)
- Meilleure réponse immunitaire à une stimulation ACTH chez les chevaux pâturant en groupe. [Hegenberger et al., 2019] (pmc.ncbi.nlm.nih.gov)
- Diminution de la durée de récupération cardiaque après un stress soudain lorsque la dyade affiliée est présente. [Ricci-Bonot et al., 2021] (pmc.ncbi.nlm.nih.gov)
6. Transferts inter-espèces et prospective
Les principes d’oxytocine-dépendance décrits chez le chien et l’humain semblent s’appliquer au cheval : des sessions de simple présence (standing) ou de grattage doux (rubbing) élèvent l’ocytocine plasmatique sans hausse de cortisol, ouvrant la voie à des outils de mesure non invasifs du “bien-être relationnel”. [Okada et al., 2025] (mdpi.com)
En Mandarin : “友谊可以降低心率变异的低频/高频比,提示副交感占优” (yǒuyì kěyǐ jiàngdī xīnlǜ biànyì de LF/HF bǐ) – traduction libre de l’équipe de Guëlph (2025). [Applied ABS 2025] (ebiotrade.com)
7. Applications pratiques pour le terrain
- Gestion poulinière : privilégier un sevrage progressif en présence d’adultes bienveillants pour maintenir la “toile sociale” et réduire le pic de cortisol.
- Re-groupement raisonné : introduire les chevaux par dyades pré-existantes plutôt qu’individuellement afin de limiter l’instabilité hiérarchique.
- Design d’infrastructures : créer des aires de repos communes et des couloirs de fuite afin que les affiliés puissent rester côte-à-côte sans compétition excessive.
- Suivi biométrique : coupler capteurs HRV et observation des comportements de rapprochement pour évaluer la qualité plutôt que la simple quantification du stress.
Conclusion ouverte
Les chevaux ne se contentent pas de “tolérer” leurs congénères ; ils recherchent activement des partenaires spécifiques avec lesquels échanger soins, sécurité et réconfort. La mise en évidence de ces amitiés, validée par des marqueurs physiologiques et des méthodologies internationales, invite à repenser chaque programme de bien-être équin : permettre au cheval de vivre et de guérir au sein de son réseau social naturel est un impératif éthique, mais aussi un vecteur de performance durable pour les secteurs sportif, thérapeutique et de loisir.